L’histoire de Billy

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Des marchandises et des Hommes

Au fin fond d’une jungle africaine,  Billy*, un cadre agricole découvre que l’armée de son pays démocratique est capable de massacrer sans pitié de pauvres paysans en révolte contre leurs conditions de vie. En état de choc, Billy ne veut pas que tous ces gars soient morts pour rien et dans le plus parfait anonymat. Alors Billy crie son indignation en jetant, photos à l’appui, quelques lignes sur les réseaux sociaux. Aussitôt les autorités de son pays se mettent à sa recherche. Là-bas, quand vous êtes recherché par une police aux ordres du Président, cela signifie clairement que vous serez bientôt « disparu ».  Billy avait un travail convenable, une famille, des enfants, aucune raison économique de quitter son pays.

Mais avec cet avis de recherche, tout a basculé pour lui.

Pas de justice possible pour s’expliquer, juste l’assurance de rejoindre une geôle « présidentielle » et de mourir sous les inutiles tortures…ou les balles.  Il faut donc fuir, s’éloigner de sa famille pour ne pas l’exposer à la vengeance d’un pouvoir fort injuste.

Billy se procure un billet d’avion pour la Turquie, et avec la « complicité » d’un douanier il réussit à prendre l’avion pour Istanbul. Ensuite ce sera les petits boulots clandestins pour survivre et les dessous de table payés à des filières de passeurs pour rejoindre la côte en face de la Grèce.

Un soir Billy est conduit avec une trentaine de clandestins dans une crique où les attend un vieux pneumatique avec son moteur poussif. Direction l’île de Samos, une croisière d’un kilomètre sur une mer démontée et des courants marins réputés dangereux.  Billy ne sait pas nager, le danger est évident, mais il ne peut reculer. Sur le bateau, Billy s’efforce de rassurer les femmes qui crient, les enfants qui pleurent. Certains prient à haute voix sachant leur dernière heure proche. Par miracle le bateau s’échoue brutalement sur la plage grecque, projette ses passagers sur le sable.

Ensuite ce sera les interrogatoires, la dure vie du bidonville, l’absence d’hygiène de base, les humiliations et l’attente d’un statut de réfugié politique. Au bout de deux ans dans cet enfer, Billy comprend que l’Europe ne l’accueillera pas comme réfugié politique, et que cette attente dans des conditions déplorables est tout simplement un implacable dispositif de dissuasion. Alors Billy s’enfuit, rejoint le continent européen et se fait exploiter durant deux années par des paysans grecques, contents de trouver une main d’œuvre quasi gratuite parce que clandestine.

Quatre ans après son départ d’Afrique, Billy arrive à Paris. Billy a dû passer par les prisons grecques, payer des faux vrais papiers que l’on appelle « ressemblance » acheter des billets d’avions et espérer ne pas se faire prendre par les policiers à l’embarquement.

La 4ème tentative sera la bonne ! Une fois en France, Billy doit s’organiser ! Pas question de rester dehors car au mois de février le froid peut tuer lui aussi. Des français lui ouvrent la porte de leur maison et lui disent : « repose-toi tant que tu le souhaites ensuite nous t’aiderons à trouver un travail ». Il faudra près de deux mois pour que Billy reprenne confiance, retrouve ses forces, et ose sortir dans la rue !

Un jour Billy découvre les autoroutes et s’étonne que dans son pays, aucune construction de ce type n’ait été réalisée depuis l’Indépendance ! Normal, l’argent de son pays dort dans des coffres en Suisse !  Ses amis l’aident à obtenir une couverture sociale à défaut d’une autorisation de séjour. Billy s’installe en province et à la campagne. Des paysans le prennent sous leur protection. Il vient les aider régulièrement. Billy découvre la grandeur des uns, tandis que les autres découvrent les réelles qualités professionnelles de Billy en matière d’agriculture. Billy s’intègre remarquablement. Dans le village tout le monde le salue.

A ses heures perdues Billy entraîne des enfants dans un club sportif. Là aussi ses qualités humaines et de manager sont appréciées par les enfants et leurs parents ! La symbiose est presque parfaite. Il manque juste un papier « autorisation de séjour » pour que Billy puisse quitter sa peur de clandestin et enfin reprendre sa vie d’homme libre ; en habitant chez lui, en gagnant simplement sa vie, en retrouvant la capacité de faire des projets, de rencontrer une femme, de fonder un foyer…

Demander ce papier, c’est aussi se dévoiler et prendre le risque d’un retour au pays interdit. Déjà sept ans de vie en cachette… 2025 sera-t-elle l’année de la régularisation ? Billy l’espère de tout son cœur. Nous lui souhaitons la fin de son anxieuse clandestinité.

Quel est ce monde dans lequel les marchandises circulent plus librement que les hommes ?


*Pour des raisons évidentes de sécurité, le prénom a été modifié.